Les diplomates marocains distribuent la propagande dans le PE
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Un briefing distribué par des responsables marocains dans les couloirs du Parlement Européen affirme notamment que "la signature d'un accord avec l'UE n'incluant pas le Sahara, serait perçue comme une reconnaissance implicite de la non souveraineté du Maroc sur ce territoire".
Publié 29 octobre 2018


Au cours du mois d'octobre 2018, des diplomates marocains ont remis à plusieurs membres du Parlement européen de différents groupes politiques une "fiche d'information" de deux pages. Le document est intitulé "Questions et réponses - Concernant l'adaptation du protocole agricole". Voir le document ci-dessous. Le texte n'est ni daté ni signé.

Le texte est remarquable en ce sens que les lobbyistes marocains déclarent explicitement qu'"un accord avec l'UE n'incluant pas le Sahara serait perçu comme une reconnaissance implicite de la non souveraineté du Maroc sur ce territoire".

C’est précisément le point sur lequel Western Sahara Resource Watch (WSRW) insiste à plusieurs reprises. Si l'UE devait inclure les parties occupées du Sahara Occidental dans un nouvel accord commercial avec la puissance occupante du Maroc, elle montrerait un signe sans équivoque de reconnaissance de la légitimité du contrôle marocain sur cette partie du territoire, en contradiction directe avec le droit international et européen.

Le gouvernement marocain a fait à plusieurs reprises des déclarations similaires sur les accords commerciaux de l'UE, notamment le ministre de l'Information. La Cour de justice de l'UE, les États membres de l'UE et l'ONU sont clairs en ce qu'ils ne reconnaissent pas la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental.

Le document contient également un certain nombre de mensonges et d’inexactitudes. Voici nos points de vue sur les affirmations du briefing.


1. "La modification du protocole sur l'agriculture est conforme à l'arrêt de la Cour".

Selon le briefing, "la Commission et le conseiller juridique ont déclaré que l'adaptation était conforme à l'arrêt de la Cour". Cette déclaration est surprenante car les services juridiques de la Commission et du Conseil ne sont ni publics ni accessibles aux députés. Soit la mission marocaine a un accès privilégié aux documents confidentiels du Conseil et de la Commission (ce qui constituerait une violation grave des règles de confidentialité de l'UE), soit elle n'a pas de base pour formuler une telle réclamation. Le service juridique du Parlement européen a déclaré que la légalité de la proposition était "peu claire".

2. "Le consentement du peuple du Sahara Occidental requis par l'arrêt de la Cour de justice a été obtenu".
- "Le Royaume du Maroc a demandé le consentement des représentants de la population". Selon la Cour de justice de l'UE, le Maroc est un territoire "séparé et distinct" du Sahara Occidental. Puisqu'il refuse d'être à la fois le pouvoir administratif et la puissance occupante du territoire, il n'y a aucune base légale pour sa présence et son action au nom du territoire concerné. De plus, il n'appartient pas au Maroc de demander l'accord, mais à l'Union Européenne d'obtenir l'accord du peuple sahraoui sur l'accord proposé.
- "Selon les Nations unies, 80% des Sahraouis vivent au Sahara Occidental et 20% dans les camps de Tindouf", indique le document sans citer de source - très probablement parce que l'ONU n'a jamais fait de déclaration qui validerait cette affirmation.
- "Exclure la région de l'accord revient à priver la population locale de son droit au développement".
Les droits de la population locale ne sont pas pertinents. La Cour s’occupe des droits du peuple et non de la population. Aujourd'hui, la majorité de la population du Sahara Occidental est constituée de colons illégaux. Il appartient au peuple du territoire, et non au Maroc ou à l'UE, de décider des relations commerciales du territoire du Sahara Occidental. C’est un paradoxe en soi de prétendre qu'exclure le Sahara Occidental signifie que l’on empêche les locaux de se développer : l’accord proposé lui-même suggère de ne couvrir qu’une partie du territoire non autonome, ce qui signifie qu’il exclut une grande partie du territoire, et près de la moitié du peuple sahraoui.
Le rapport du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) de mars 2018 évalue la population de réfugiés sahraouis dans le camp de Tindouf à plus de 175 000 personnes.
- "Aucune autorité internationale n'attribue un rôle au Polisario : le représentant du Polisario n'est pas autorisé à prendre la parole devant le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale".
Ceci n'est pas exact. Comme l'a souligné la Cour de justice de l'Union européenne (paragraphe 35), la résolution 34/37 de l'Assemblée générale des Nations Unies reconnaît le Polisario en tant que représentant du peuple du Sahara Occidental. En tant que signataire des Conventions de Genève, le Polisario représente le territoire comme mouvement de libération nationale du Sahara Occidental dans le conflit international avec le Maroc. Les mouvements de libération nationale en tant que tels n'ont pas le droit de prendre la parole devant le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale.
- "La Commission a lancé un processus de consultation avec le Front Polisario et les ONG".
Incorrect. Même si le SEAE affirme dans le document de travail des services avoir engagé le Polisario dans un processus de consultation, il ne l'a pas fait. Aucune des ONG consultées par la Commission ne défend le droit à l'autodétermination - les quatre ONG consultées par le SEAE sont marocaines et toutes les quatre défendent la position marocaine du conflit. 94 des 112 groupes que la Commission prétend avoir consultés ne l'ont pas été - ils ont été ajoutés à la liste des groupes consultés sans autorisation. La Commission ne s'est pas rendue au Sahara Occidental ni dans les camps de réfugiés pour mener ses consultations. Ce fait fondamental souligne le manque de crédibilité du processus de consultation.
- "Selon la Commission, ces consultations ont révélé un avis majoritaire en faveur d'une modification de l'accord de libéralisation afin d'étendre les préférences aux produits du Sahara Occidental."
Il est vrai que la majorité des groupes rencontrés par la Commission au cours de son processus de consultation ont exprimé un tel soutien. Cependant, ceux-ci ne constituent que 18 groupes et individus, et sont tous marocains ou pro-marocains. Aucun des 94 groupes sahraouis ou pro-sahraouis inscrits dans l'annexe du document de travail du SEAE, qui défendent tous l'autodétermination, n'a jamais participé au processus de consultation. L'objet du processus de consultation sur les bénéfices locaux d'un accord UE-Maroc n'a rien à voir avec l'obtention du consentement requis par la Cour.

3. "L'accord profite au peuple"

Il n’existe pas de statistiques ou de chiffres indépendants à l’appui de cette affirmation. Les seuls chiffres disponibles sont fournis par les ministères ou les organes gouvernementaux marocains, qui ont tout intérêt à maintenir un air de "normalité" à la présence du Maroc au Sahara Occidental. De l'aveu même de la Commission européenne, celle-ci ne peut fournir aucun chiffre à l'appui de l'affirmation selon laquelle l'accord serait bénéfique pour le Sahara Occidental, car "les données disponibles sont souvent fragmentaires" ou "fragmentaires et absurdes". Comme le reconnaît la Commission, il est "généralement impossible de distinguer les importations marocaines des importations du Sahara Occidental". "Il n'y a pas d'analyse indépendante commandée par l'ONU des avantages des accords commerciaux internationaux pour le Sahara Occidental. En outre, l’UE n’a aucune compétence en ce qui concerne les moyens directs d’enquête sur le territoire du Sahara Occidental ", reconnaît la Commission. Il n'y a pas de chiffres sur les flux commerciaux à destination et en provenance du Sahara Occidental. La Commission admet également qu’elle ne peut distinguer entre les populations sahraouie et marocaine en termes d’avantages pour l’emploi, mais reconnaît que la part des employés sahraouis dans les secteurs touchés est minime. Comme l'a reconnu le rapporteur du Parlement sur le dossier, tous les groupes du territoire ne participent pas au développement économique. L'ONU le dit encore plus hardiment. Dans sa déclaration finale concernant son voyage au Sahara Occidental à la fin de 2015, la rapporteure spéciale de l'ONU sur le droit à l'alimentation, Hilal Elver, a indiqué que le peuple du Sahara Occidental ne bénéficiait pas des projets économiques que le Maroc entreprenait sur le territoire. À peu près au même moment, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a souligné que la pauvreté continuait de toucher de manière disproportionnée la population sahraouie et qu'elle ne tirait pas profit des investissements considérables réalisés.
Les secteurs susceptibles de bénéficier de l'accord appartiennent majoritairement à des Marocains.

4. "L'accord ne modifie pas les "conditions du marché" en touchant les agriculteurs européens"
Le texte indique qu'"il n'y aura pas d'impact économique sur les agriculteurs européens car les produits du Sahara ont toujours bénéficié de préférences commerciales depuis 2012." Cela ne tient pas compte du fait que la Commission européenne n'a pas de statistique commerciaux sur le territoire et que le gouvernement marocain a des projets de croissance substantielle de la production orientée vers l'exportation au Sahara Occidental. Ces plans sont en fait soulignés dans le rapport de la Commission / SEAE qui l'accompagne. Dans son avis sur l'accord proposé, le rapporteur français du PPE était clairement impressionné par les arguments de la mission marocaine et soulignait "les principaux problèmes de compétitivité des producteurs européens" et le manque de clarté concernant l'attribution de contingents tarifaires. Le rapporteur AGRI a souligné qu'il restait d'importants problèmes de compétitivité en termes de coûts de main-d'œuvre, conditions de travail et normes environnementales.
Les principales coopératives d'agriculteurs européennes sont opposées à l'accord.

5. "La région ne doit être exclue d'aucun accord avant la résolution du conflit par l'ONU"

Le Sahara Occidental est explicitement exclu des accords commerciaux entre le Maroc et les États de l'AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein et Suisse), le contraire signifierait un signe de reconnaissance de la souveraineté autoproclamée du Maroc sur le territoire en question. Pour cette même raison, le Sahara Occidental est également expressément exclu de l'Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Maroc.

6. "L'inclusion du Sahara [occidental] dans l'accord ne change pas le statut juridique du territoire."
Il est en effet exact que l'inclusion du Sahara Occidental dans l'accord ne modifie pas le statut juridique du territoire. Son statut est et restera celui d'un territoire non autonome jusqu'à ce que les Nations Unies en décident autrement.
Il est intéressant de noter que l'argument avancé dans cette affirmation ne concerne pas le statut juridique, mais celui des pourparlers de paix des Nations unies : "l'intégration du Sahara Occidental dans l'accord n'a aucune incidence sur le processus de paix des Nations unies". Et pourtant, l'inclusion du Sahara Occidental dans l'accord actuel affecterait directement et négativement les pourparlers de paix de l'ONU, car il fournirait un soutien politique de l'UE aux revendication illégales du Maroc sur le territoire, que la CJUE a déclaré "séparé et distinct" du Maroc, renforçant les intérêts de Rabat à préserver le statu quo ce qui est à son avantage, et dissuadant davantage le Maroc à s'engager sérieusement dans toute discussion onusienne sur le territoire.

7. "Le Maroc ne peut pas signer un accord qui n'inclut pas le Sahara [Occidental]".
Il le peut et il l'a déjà fait. Le Maroc a signé des accords commerciaux avec les pays de l'AELE (Norvège, Suisse, Islande et Liechtenstein) et avec les États-Unis, qui expressément ne s'appliquent pas au Sahara Occidental.

8. "Le Polisario ne représente pas la population locale"

Le Polisario représente le peuple du Sahara Occidental, tel qu’il a été établi par l’Assemblée générale des Nations Unies et répété par la Cour de justice de l’Union européenne. Le Polisario représente donc le peuple qui devrait souscrire à tout accord UE-Maroc affectant le territoire du Sahara Occidental. En tant que tel, le Polisario ne représente pas la population du Sahara Occidental, qui comprend les Marocains qui se sont installés sur le territoire en raison des incitations économiques et financières déployées par le gouvernement marocain pour encourager de tels mouvements.


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